Le mythe des 24Mb/s

Il semble qu’il faille parler un peu de bande passante. Nos meilleurs fournisseurs d’accès Internet promettent une bande passante de 24Mb/s. Monsieur tout le monde a l’impression de profiter d’une bande passante extraordinaire. L’internaute averti sait lui que ce n’est pas toujours le cas mais il va jusqu’à choisir son appartement en fonction de la proximité du DSLAM (plus on est proche de cette sorte de central téléphonique, meilleure est la connexion). Au final les deux restent dans l’illusion. Malheureusement la réalité est toute autre.

Empilement de protocoles

Non, vous n’avez pas 24Mb/s. Dans l’idéal, si vous n’avez aucune perte et si vous utilisez le maximum théorique de votre ligne, vous avez entre 15 et 16Mb/s. Le tour de passe passe c’est qu’on ne parle pas de la même chose. 24Mb/s c’est le débit possible en ATM. ATM c’est le protocole utilisé en interne par votre FAI pour faire passer vos données.

Ce que vous utilisez vous c’est de l’IP. Il va falloir encapsuler vos données IP dans un flux ATM, en gros jouer aux poupées russes. Votre poupée à vous c’est la petite à l’intérieur, et s’il faut faire transiter la grosse extérieure, vous vous rendez bien compte que vous allez pouvoir en faire passer moins que prévu. En réalité la perte est entre 20 et 25%. Chez Free.fr, si on en croit les chiffres publiés sur leurs publicités, c’est 22% de moins.

Bref, 24Mb/s ? que dalle, c’est dans les 18Mb/s. En réalité encore moins parce que dans un trafic IP il y a aussi une partie liée au protocole. En prenant TCP et IP, on perd alors minimum 2 à 3% par paquet. En réalité nombre de paquets ne sont pas remplis au maximum, et il faut aussi compter des paquets de contrôle. Pour une utilisation « web » (hors vidéos et téléchargements) c’est dans les 90% de trafic utile seulement. Nous voilà tombés à 16Mb/s.

Qualité de ligne

Tout le monde n’a pas ces 16Mb/s non plus. C’est un débit théorique au plus proche du DSLAM. Malheureusement la courbe du débit théorique en fonction de la distance n’est pas proportionnelle. Après 1km le débit chute drastiquement. Un petit graphique vaut mieux qu’un long discours.

Des DSLAM il n’y en a pas sur toutes les rues. Même à Paris il est assez facile de dépasser le kilomètre. En plus petite ville, et particulièrement en bordure d’une ville de moyenne importance, la distance peut facilement exploser, et le débit faire l’opération inverse. 16Mb/s ? oubliez, beaucoup sont à moins de 8Mb/s. Demandez autour de vous de faire des tests de débits, vous pourriez être surpris.

Reste qu’on parle toujours d’un débit théorique sur une ligne optimale. Votre ligne n’est pas optimale. Suivant le diamètre de votre cuivre qui vous connecte au DSLAM et son environnement électromagnétique, vous pouvez avoir plus ou moins de bruit parasite. L’ADSL est génial dans le sens qu’il gère ce bruit et sait tout seul diminuer la bande passante pour assurer la qualité de la communication, mais ça fait autant en moins sur votre bande passante.

Pas que l’ADSL

Plus répandus, il y a une grande partie des internautes qui sont connectés par WIFI. Là aussi la qualité de la ligne compte, et non vous n’avez jamais les 54Mb/s promis. Si vous en avez le tiers vous pouvez être heureux. Le wifi b encore très répandu c’est 11Mb/s théorique, 6 réels dans de bonnes conditions. Ajoutez quelques murs, un étage, et les dégats commencent même si vous êtes à 200 mètres du DSLAM.

En progression il y a aussi la 3G et les terminaux mobiles. C’est du 3,6Mb/s théoriques, rarement plus de 2Mb/s en pratique car là aussi il y a un affaiblissement avec la distance. Cette bande passante est attribuée par cellules pendant un certain laps de temps. Vous êtes loin ? vous utilisez plus de cellule. Vous faites juste une requête ? la cellule vous est quand même attribuée. Vous ne demandez pas beaucoup de bande passante ? vous risquez d’utiliser des tranches de façon incomplète.

Je suis sympa, en réalité il y a encore des entreprises avec des lignes 256kb/s (ne vous moquez pas, la garantie de fonctionnement n’est pas la même) et des particuliers avec du RTC.

Empilement des requêtes

Allons encore plus loin. Levez la main ceux qui ont un client P2P qui tourne ? ceux qui ont la fille ou la petite soeur qui regarde ses vidéos ? ceux qui regardent la TV par ADSL ? ou simplement ceux dont le conjoint surfe aussi à partir d’une autre machine ?

La bande passante est partagée. Le P2P est un énorme consommateur de bande passante, avec une utilisation très peu efficace. La vidéo, ou même le surf, c’est autant de moins pour vous. Vous êtes 3 ? divisez par 2 la bande passante si vous surfez. Même chose si vous surfez avec plusieurs onglets en train de charger en parallèle, ou si vous cumulez plusieurs logiciels qui font appel au réseau. Si les autres font du téléchargement ou de la vidéo c’est facilement par 5 ou 6 qu’il faudra tout diviser. La TV par ADSL c’est 5Mb/s qui partent en fumée (et là ce n’est pas du maximum théorique, c’est du mesuré).

C’est vrai pour votre ADSL, ça l’est encore plus pour le WIFI ou la 3G. Là les fréquences sont limitées. Si quelqu’un utilise la 3G ou le WIFI, c’est tout le monde qui est impacté. Pour le WIFI peu importe que ce soit une autre borne wifi qui est utilisée, ce sont les mêmes fréquences, la même bande passante commune. Il ne vous reste plus qu’à espérer que personne ne regarde une vidéo en boucle par wifi dans votre immeuble.

Encore des contraintes techniques

Voilà votre 24Mb/s bien réduit. Une peau de chagrin qu’il reste avec tout ça. Parce que nous parlons toujours de bande passante maximale. En réalité vous n’atteignez pas la bande passante maximale qui vous reste.

Le serveur web en face ne délivre pas du 10Mb/s à tout le monde. En fait hors les quelques très gros sites, c’est déjà bien s’il a 10Mb/s garantis à partager entre tous ses clients. Les plus gros c’est 100Mb/s par serveur, à partager entre 50 à 300 clients simultanés. Faites le compte vous même.

Après vous ajoutez les contraintes de TCP/IP, qui font que la bande passante idéale entre le serveur et le client n’est pas utilisée immédiatement. Sur des petits contenus vous ne l’atteignez pas, quoi qu’il se passe.

Le résultat ?

Le résultat c’est que vous n’avez très probablement pas plus de 10Mb/s sur votre ligne ADSL, moins sur votre WIFI, et moins de 2Mb/s sur du 3G. Que tout ça est à partager entre tout le monde et avec votre TV sur votre modem ADSL, ou avec tout votre quartier pour le WIFI et la 3G. Et que vous n’utiliserez pas efficacement ce qu’il vous reste si ce que vous faites c’est du surf web.

24Mb/s.. vous rigolez ? c’est de la communication, pas de la réalité.

Il va être fréquent d’avoir assez peu. Pour mes tests je prend fréquemment 2Mb/s comme référence. Je sais que je suis bien au dessous de ce que les geeks ont, ceux qui choisissent leur appartement en grande ville en fonction du DSLAM, mais j’ai encore peur d’être au dessus du débit pratique médian d’une session de surf.

Là bien sûr je parle d’une représentation du public français. Pour de l’international ce serait encore pire, car quoi qu’on vous dise la France est plutôt en avance de ce côté là.

Oh, dernière chose … On parle en Mb/s, mega bits par secondes. Pour obtenir des Mo/s, il faut diviser par 8. Oui, mes 2Mb/s c’est 250ko/s.

Publié par edaspet

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14 réponses sur « Le mythe des 24Mb/s »

  1. 250ko/s c’est encore trop je pense, il vaut mieux tabler sur du 120ko/s qui est un débit que peuvent avoir une majorité de personnes avec leur ligne ADSL.

    Le débit c’est bien, mais comme tu l’as déjà dit la latence joue un rôle très (trop) important quand on parle performance, et les lignes ADSL font malheureusement bien pires que le RTC dans ce domaine.

  2. Hum ca me parait un peu exagéré.

    Si effectivement le débit tombe très vite dès qu’on habite dans des zones un peu isolées, la majorité de la population habite, par définition, dans les grandes villes.

    Il est clair qu’on atteint jamais les débits annoncés, et même loin de là, mais on arrive quand même la plupart du temps a 500ko/s et plus.

    Je n’ai par contre pas compris le coup du « wifi partagé avec tout le quartier »? On parle d’une connexion mal sécurisée?

    Personnellement, j’étais chez Orange, très proche d’un DSLAM lorsqu’ils m’ont proposés de me dégrouper (oui oui c’est possible :p) et je me suis retrouvé sur un DSLAM plus éloignés…blasé

  3. Même dans Paris intramuros, être à 2km du DSLAM est loin d’être impossible. Dans les grandes aglomérations, on s’étire bien plus. L’ADSL en dessous de 2Mb/s ce n’est pas que dans le Larzac, loin de là. (si quelqu’un a des stats, ça m’intéresse)

    Donc oui, beaucoup ont 500ko/s sur du téléchargement, mais une proportion importante ne les a pas, et encore moins les atteignent sur des petits fichiers comme pour du surf web.

    Pour le WIFI c’est simplement une question d’onde. Si tu es seul sur ta borne (parce qu’elle est protégée) mais que les 10 bornes du même immeuble sont sur la même fréquence … rien de magique, elles partagent la même bande passante. Et là c’est très rapidement impactant pour les grandes villes qui justement ont de bonnes lignes ADSL : au final ils arrivent au même niveau que les autres 😉

  4. Sur Nantes, je suis à presque 3km du dslam (1km à vol d’oiseau pourtant) ce qui me donne à peu près 6Mbit/sec.

    Cet article très intéressant permet de démontrer une fois de plus l’interêt de l’optimisation web. Ce n’est pas parce que « presque » tout le monde à l’adsl (en corse il reste énormément de ligne RTC) qu’il faut multiplier les animations flash ou les images non optimisées. On trouve de plus en plus fréquemment des sites avec des pages de 500Ko, il ne faut donc pas s’étonner de les voir s’afficher en plusieurs secondes…

  5. Bonjour,

    Egalement le Wifi « partagé avec tout l’immeuble » m’a interrogé. Il y a des no de canal qui permettent de limiter les dégats non ? (pas sûr de bien savoir où chercher des compléments sur ces histoires)

    Eric sinon avez-vous des outils à conseiller pour simuler une bp donnée ? Et plus généralement une qualité de ligne, pour faire référence à votre récent billet parlant de la latence…

  6. Oui, les canaux permettent de limiter les dégats, ou de les empirer, suivant si les gens utilisent le même canal que toi 😉
    Certains logiciels savent regarder au démarrage quel est le canal le moins encombré, pas tous, mais surtout ça n’est qu’un indice. Si la connexion wifi de ton voisin était tranquille au démarrage de ta freebox, elle sera peut être très utilisée par la suite. Ton point d’accès ne changera pas seul de canal.

    Pour simuler une moins bonne connexion il y a Charles : http://www.charlesproxy.com/overview/

    C’est un proxy de déboguage, on peut voir ce qui passe, rejouer, modifier, diminuer la bande passante ou augmenter la latence. Ce n’est pas le seul ceci dit, mais celui là a le bon gout de passer sur les 3 OS principaux.

  7. Merci beaucoup de ta réponse 🙂
    Je ne savais pas du tout pour le wifi…

    Ca aurait été interessant d’avoir une carte de l’Ile-de-France (ou de la France entière) avec la position de tout les DSLAM… :p

  8. Je lis souvent ce blog sans poster (je sais c’est mal…) mais de nombreux articles « techniques » m’intererssent sans pour autant que je puisse exprimer un avis suffisament documenté sur le sujet.

    Bravo pour ce formidable article ! Simple et precis, expliqué dans les regles de l’art. Ca donne envie de retester son site avec des reduction de debit volontaire bien plus souvent !!

    Cependant j’avoue être presque geek et ne pas avoir choisi en fonction de l’eloignement de DSLAM mais simplement de l’eligibilité a Free ou non. Et ce même si je savais dans quel endroit approximatif se trouvait le DSLAM… Et quelle chance je ne suis pas loin … 😀

  9. Et encore, c’est 24Mb/s descendant. Pour le montant c’est largement pire, d’où la nécessité de réduire la taille des cookies…

    Sinon je confirme, ce n’est pas forcément en étant dans une grande ville qu’on est plus proche du DSLAM. À Paris (enfin, Montreuil plutôt) je suis à 2Km du DSLAM et je crie victoire dès que je dépasse 4Mb/s… Alors que dans mon « village » natal, je suis systématiquement à 8Mb/s, avec une ligne d’une bien meilleure qualité.

    Vivement la fibre…

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